Bien-être animal et élevage intensif – Le K
Confronté aux multiples controverses apparues depuis quelques années autour du monde de l’élevage porcin et de l’agriculture en général, Dominique Favé s’interroge sur l’avenir de ce métier et du mode de production industrielle :
« Convaincu qu’Il est nécessaire de concilier notre maîtrise technique, sanitaire et environnementale avec les questionnements de la société, » il a donc rassemblé un groupe de réflexion aux origines et expériences les plus larges. Son but est de « chercher à mieux comprendre pour mieux se comprendre et continuer à progresser ensemble, prendre les bonnes décisions et ne plus subir continuellement ».
L’ambition du groupe est de faire de Kervéléoc un lieu d’écoute, de partage d’expériences, une plateforme d’innovation territoriale qui aide à la réflexion collective. Pour ce premier atelier ouvert à des personnalités extérieures, le thème abordé est donc l’éthologie et le bien-être animal.
Les questions centrales et communes aux trois intervenants :
- Que représente à leurs yeux le BEA, la bientraitance des animaux face à aux exigences qui semblent conditionner le rapport du citoyen/consommateur à la nourriture, à la production industrielle, au métier d’éleveur, au monde rural,… ?
- En quoi l’éthologie peut-elle aider à répondre aux questions que la société pose aux éleveurs ?
Valérie Courboulay, ingénieure agronome (Purpan-Toulouse). Pour l‘IFIP-Institut du Porc, va rappeler que pour les éleveurs le sujet central est celui de la bientraitance des animaux. Ce sujet rassemble un ensemble d’éléments à satisfaire imposant essentiellement une obligation de moyens pour le professionnel.
Valérie Courboulay insiste sur le conditionnement du citoyen dans un contexte de controverses qui fait que l’opinion publique devient le juge faute de positions académiques, scientifiques ou juridiques qui puissent faire autorité dans le débat, et fonder les décisions publiques. Les tensions issues de ce flou créent des filtres qui structurent plusieurs visions du sujet de l’élevage au sein de la population, à l’heure actuelle.
Dans ce contexte l’IFIP retient en plus, 4 points de vigilance et axes de progrès pour les éleveurs :
- L’espace de vie pour les animaux
- Les pratiques douloureuses
- La contention
- L’ouverture et la lumière dans les bâtiments
Est-ce les bonnes solutions ? Les moyens envisagés sont-ils suffisants pour inverser l’opinion ? Comment arriver à combiner des approches moyens/résultats ?
Face à cette perplexité ambiante, l’IFIP a priorisé un certain nombre de thématiques :
- Les pratiques d’élevage
- Le logement des animaux
- Des indicateurs Bien-être
- L’approche « One Welfare » centrée sur l’éleveur
En conclusion Valérie Courboulay reviendra sur un thème qui lui est cher pour changer la perception des parties prenantes. Pour elle, une évolution de la façon d’appréhender la notion si subjective du BEA passe par une valorisation de la profession. Améliorer son image de marque, communiquer sur des réalités méconnues, attirer les vocations, …Ce qui impose de faire de ces jeunes qui se destinent à cette activité, une cible prioritaire de la communication.
Elle précisera également que même si on répond à tous les critères actuels, cela ne suffira pas pour autant car d’autres se rajoutent. (Exemple de Freedom Food). Cela démontrerait que les cahiers des charges basés sur les moyens ne sont sans doute pas adaptés et qu’il faudrait s’orienter vers des outils d’évaluation de résultats (BEEP par exemple). Ce point sera aussi repris par Laura Jegou, Paul Créach, Alain Coupel.
Sabine Roussel, enseignante chercheuse à l’UBO-IUEM et IUT, ingénieure agronome Lille, Rennes et AgroParisTech docteur en éthologie, va ensuite aborder les apports et limites de l’éthologie (ou étude des comportements des êtres vivants) pour servir la cause de l’élevage industriel dans notre société.
Elle montrera rapidement que si l’on se met du point de vue de l’animal d’élevage ses relations sociales avec ses congénères, physiques avec le milieu ambiant ou celles avec l’homme sont très différentes de la projection affective forte que la société a construit en se centrant sur l’animal de compagnie, en mythifiant la nature et la place de l’animal sauvage, en s’éloignant des finalités de l’élevage.
C’est dans ce contexte que s’est solidement ancré un discours anthropomorphique. Renforcé par nos pratiques de consommation de produits de plus en plus transformés, il continue à s’amplifier notamment avec la perspective des viandes artificielles. Et il continue à influer les décisions des législateurs et pouvoirs publics dans nos pays développés sous la pression médiatique « le choc des images et le poids des mots étant savamment utilisés par les sociétés protectrices des animaux » (O. Mével développera aussi cette partie).
Ce qui montre que le champ des controverses s’élargit en permanence et nécessite une grande agilité et une présence élargie à de nombreux fronts, notamment celui des instances européennes et des organisations internationales (évoquées aussi par David Cassin groupe AVRIL).
Au regard de son expérience internationale, Sabine Roussel conclura sur les points de faiblesse de la filière française :
- Son repli sur soi et le manque de coopération de ses instances avec les ONG et les distributeurs,
- Ses divisions internes générant une perte d’audience auprès des médias comme des Pouvoirs Publics,
- Sa perte d’influence à l’heure où les réglementations se font à Bruxelles et non plus à Paris (exemple des veaux de boucherie des poules en cages, …), sous la pression d’ONG puissantes d’inspiration anglo-saxonne.
Plus tard, elle nous rappellera sa conviction que pour aller plus loin sur le sujet de l’élevage industriel, il faut absolument prendre en compte les problématiques liées au climat, à l’empreinte carbone…qui sont en train de devenir les sujets de bataille des opposants, auprès des médias et des pouvoirs Publics.
Olivier Mével, Enseignant-chercheur et maitre de conférences à l’UBO-IUT de Morlaix et Brest et ISFEL St Pol de Léon, consultant en marketing pour l’IAA, va montrer combien la voie du BEA est étroite pour les éleveurs en prenant le sujet sous l’angle de l’observation marketing et de la recherche d’une meilleure valeur ajoutée pour l’élevage.
- Fondamentalement l’émergence du BEA crée une confusion dans l’esprit du consommateur/ citoyen au moment de considérer son achat de produits carnés.
- L’objet du débat de société est centré sur la maltraitance. Il y a vite un amalgame avec l’élevage intensif et les impacts environnementaux. En moins de 10 ans le BEA a donc trouvé un écho énorme dans les médias.
- D’un côté, les stratégies des associations basées sur l’émotion trouvent des relais avides du côté de mass-medias, surtout des chaines d’infos en mal d’audience ou recherchant un relais dans les relais sociaux.
- De l’autre il est impossible pour l’éleveur de valoriser ses efforts en matière de BEA. La logique de consommateur reste centrée sur le prix et il est quasiment impossible de faire apparaitre un avantage intrinsèque basé sur la bientraitance.
Sur ce point, David Cassin précisera que le niveau C de l’étiquetage BEA (volaille) correspond au BBC (Better Chicken Commitment). Ce cahier des charges CIWF générant un surcoût de 40% du prix de revient.
Pour Olivier Mével, le plus grave est de constater que la profession est confrontée à une situation d’injonction paradoxale envers le consommateur. Afficher des efforts sur le BEA revient à raviver l’idée de manger du vivant : « finalement avec le BEA, j’encourage toujours à tuer des animaux ». Il décrit ainsi le piège de la « double contrainte » pour laquelle il parait difficile d’imaginer une issue favorable pour le consommateur comme pour la filière, en tout cas, tant que l’on reste dans le cadre « produit/marché ». Identifier des leviers extérieurs pour dépasser cette situation, pour se permettre de sortir de l’impossibilité évoquée par le mécanisme psychologique de double contrainte reste donc un domaine à explorer.
Cependant, face à cette situation décrite comme bloquée à tous les étages de la filière en France, l’intervenant a indiqué des pistes initiées par Amazon au moment du rachat en 2017 de Whole Foods distributeur américain de produits frais.
A cette occasion est appliqué le GAP (Global Animal Partnership), le plus important programme mondial dédié au BEA, qui repose en particulier sur un système d’évaluation en 5 niveaux qui débouche sur un étiquetage de référence.
Pour l’heure, il semble que la majorité des consommateurs refuse de rentrer dans ces considérations. Mais notre intervenant (comme Nicolas Cadieu ou David Cassin) à la conviction que Amazon comme l’ensemble des GAFA anticipent les nouveaux comportements de segments de consommateurs leaders. Il résume son point de vue dans les points de vigilance qu’il recommande à la filière de développer :
- Refus de parler de la mort.
- Perception de la domestication animale présentée comme une forme de domination bienveillante de l’homme, accentuée par une vision angélique et une perte de contact avec les réalités de la vie animale en dehors de l’animal de compagnie.
- Effet négatif des excès de l’élevage intensif parfaitement exploités par les animalistes. L’exemple de l’œuf montre la capacité des consommateurs à se laisser séduire par une qualité « théâtralisée » autour du BEA au détriment des qualités organoleptiques et de la sécurité sanitaire.
- Montée d’une tendance écologiste dangereuse par sa radicalité, dans un contexte de fin des utopies politiques. Ce qui entraine en particulier une confusion dommageable entre écologie (équilibre des espèces) et animalisme (voir Francis Wolf, affirmation de l’existence d’une bonne nature).
Ces points amèneront un peu plus tard des commentaires notamment de Paul Créac’h :
- La prise en compte de ces points par la profession est indispensable pour atténuer les effets dévastateurs sur l’opinion publique de la maltraitance, raison forte de non-achat.
- Dans les critères d’achats, le BEA arrive à 2% (le consommateur n’est donc pas prêt à payer cet avantage). Par contre dans les causes de non-achat, la maltraitance de l’animal arrive à 26%.
Ce qui confirme la position de notre expert, pour qui il semble illusoire de vouloir valoriser par un affichage BEA qui est un leurre commercial, ravivant des injonctions paradoxales et accélérant la baisse tendancielle de consommation de produits carnés.
Les pistes de travail et questionnements évoqués par les participants
Pourquoi le BEA a -t-il pris de l’importance aussi rapidement ? Est-ce un effet de mode ? Qui en sont les acteurs ?
Comment rapprocher et mettre en phase les logiques des distributeurs et les motivations d’achat des consommateurs ? Une montée en gamme est elle la façon d’absorber les coûts du BEA ?
Peut-on mieux caractériser la frontière entre BEA et maltraitance animale ?
Comment organiser les réponses techniques et philosophiques à l’exigence de BEA ? Quelle approche peut-on avoir du droit de vie de l’animal, comment justifier d’une existence destinée à l’abattoir ?
Qui sont les censeurs et influenceurs du BEA aujourd’hui ? Quels sont les mécanismes utilisés ? Comment valoriser la profession : tenter d’améliorer les choses ou rupture d’un modèle arrivé au bout ? (cf. échec du réseau « Agribien-être » où scientifiques, sociologues et philosophes au sein de l’Inra n’ont jamais pu s’entendre).
L’émergence d’un cadre juridique au BEA suffira t-elle à réduire les excès et amalgames ?
La recherche de résultats réellement mesurables en matière de BEA ne doit elle pas être conjointe au renforcement des moyens et méthodes de la profession ?
Ne faut-il pas avoir une approche plus globale et sans doute aussi plus territorialisée de la question du BEA ?
Ne convient-il pas de revenir sur cette « injonction paradoxale » : autrement dit, la plupart des gens connaissent donc les problèmes liés à la consommation de viande mais n’arrêtent pas pour autant d’en manger ?
Ne faut-il pas s’intéresser localement à la vision des consommateurs et aux freins ressentis par les jeunes générations face à l’attractivité des métiers de l’élevage ou de l’alimentation ?
Une partie importante des échanges porteront sur le contexte dans lequel la problématique BEA apparait. Pour les participants la prise en compte de ce contexte parait aussi importante et préoccupante que le problème en lui-même tant il interagit et amplifie sa portée.
Seront évoqués :
- Le grand clivage relationnel de la période qui isole les acteurs, rend les groupes ignorant des autres,
- Le choc de civilisation sur le rapport au vivant,
- L’effet des réseaux sociaux dé-régulateurs des débats d’idées,
- La montée de la question du climat, qui peut radicalement mettre en cause l’élevage traditionnel au profit de solutions industrielles de biotech,
- L’isolement et le retard de la profession sur ces sujets, qui ne joue pas un rôle fédérateur et accroit le désamour de la société pour une activité mal gouvernée en plus d’être peu désirable,
- La chute des vocations chez les jeunes qui s’accompagne en plus d’un recul des formations BEA,
- Mais force est de constater que ces rejets de l’élevage pour des causes multiples paraissent moins aigues dans d’autres pays où la cohésion de la société et le dialogue entre les parties prenantes de l’acte de se nourrir sont mieux établis.
Pour conclure :
Tout cela amènera à une conclusion de la réunion sur l’enjeu que représente la capacité des éleveurs à se prendre en main et surtout à prendre la parole sans attendre de leurs instances professionnelles, pour contribuer à une autre perception du métier, attirer les jeunes en production porcine, contribuer à une pédagogie basée sur l’action, et sa valeur d’exemple, tisser des relations entre les acteurs à l’échelle de territoires de projets à dimension réduite, basée sur la proximité, l’ouverture la plus large et le partage d’expérience.